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Les Travaux

                                             © Reproductions autorisées en donnant la source

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M. Jean-François MEUNIER

D.G. Sauvegarde de la Loire

Juin 2010

Cette question est importante dans un temps où, après de nombreux abus et scandales, l’exigence d’une prise en charge de qualité occupe désormais le cœur de nos pratiques professionnelles. Cependant ceci ne va pas de soi et le cadre dit intermédiaire ou de proximité est situé au centre de cet objectif de bientraitance vis-à-vis des personnes accompagnées. En effet c’est à lui que revient le management des salariés qui ont en charge le quotidien et c’est bien là que se situe –même et on le verra plus loin le cadre institutionnel a un rôle essentiel – la frontière entre mal et bien « traitance ».

Il est nécessaire d’aborder cette question par quelques remarques liminaires avant d’essayer de comprendre  comment la bientraitance  peut se jouer dans une démarche de management opéré par les chefs de service.

 

1. Première remarque :

 

Notre secteur d’activité, c'est-à-dire les associations qui œuvrent dans le champ du social, du médico-social et du sanitaire est un secteur spécifique.

Et en tant que tel il doit développer des outils et une culture de management qui lui est propre.

En fait, notre secteur porte une histoire des relations sociales dans l’association empreinte de ce que l’on pourrait appeler une forme de culpabilité. On a persuadé les dirigeants, ou bien se sont-ils eux-mêmes persuadés, que les associations s’étaient longtemps complues dans un amateurisme négligeant en matière de GRH. De ce fait, on a vu, on voit, des associations qui vont chercher des modèles du côté de la fonction publique et on assiste à la mise en place de modes managériaux très proches de celui des collectivités publiques à savoir des procédures bureaucratiques, souvent lourdes, un poids syndical puissant. A l’inverse, et c’est la tendance de ces dernières années, notamment dans les grosses associations, mais également de plus petites, on va chercher ses modèles du côté de l’entreprise marchande qui, dit-on, fait preuve depuis fort longtemps d’efficacité dans ce domaine. Et nous voilà sommés de mettre en place des outils d’évaluation, de mesure de la performance, on fait du benchmarking ¹, du MPPO (management par projets et par objectifs)…

Ces deux modèles portent, me semble-t-il, des défauts intrinsèques : dans  l’administration, la mesure de l’efficacité est centrée sur la mise en œuvre conforme de procédures et de ce fait, elle est souvent  sclérosante et ne favorise pas beaucoup l’initiative et l’innovation. Dans le secteur marchand, l’efficacité se mesure dans une objectivation quantifiable des résultats. Or, c’est une tâche très difficile à accomplir quand on travaille avec de l’humain.

 

2. Deuxième remarque :

 

Je vais me lancer dans une lapalissade : si on veut que les salariés soient bientraitants avec les usagers, il faut qu’eux-mêmes soient bientraités. C’est là ou ça devient compliqué car au-delà de la formule facile, ça veut dire quoi être bientraité ? il est aisé de remarquer d’ailleurs que dans les textes de l’ANESM on parle moins de bientraitance que de prévention de la maltraitance.

 

¹ une technique de marketing ou de gestion de la qualité qui consiste à étudier et analyser les techniques de gestion, les modes d'organisation des autres entreprises afin de s'en inspirer et d'en retirer le meilleur (Dictionnaire Wikipédia)

L’ANESM édite 4 repères2 pour mettre en œuvre la bientraitance :

] Enrichissement des structures et accompagnement grâce à des contributions internes et externes,

] Soutien aux professionnels dans une démarche de bientraitance.

] L’usager co-auteur de son parcours,

] Qualité du lien entre professionnels et usagers,

On sait bien que c’est le professionnel qui est au contact de l’usager qui est au cœur de la bientraitance.

Mais quid de la bientraitance du salarié ?

Je n’apporterai pas de réponse mais plutôt je rappellerai qu’un management bientraitant est tout sauf un mode d’intervention vis-à-vis des salariés qui soit déresponsabilisant. L’ANESM précise dans une autre recommandation3 que le rôle des équipes d’encadrement va de pair avec la nécessaire responsabilisation de l’ensemble des professionnels en contact avec les usagers.

 

3. Troisième point :

 

Je m’attarderai un peu sur cette recommandation de l’ANESM et notamment la partie 2 pour en tirer quelques éléments.

Dans la partie 2 du document nous trouvons une partie intitulée : « mettre en place une organisation et des pratiques d’encadrement conformes aux objectifs de prévention de la maltraitance ».

Là, on est au cœur de notre sujet.  Je ne reprendrai pas tout le texte mais je voudrais faire un focus sur quelques aspects relatifs à notre préoccupation sur le management :

 

] Promouvoir un dispositif qui permette un regard extérieur sur l’établissement.

Un exemple : des associations, dans la mise en œuvre de leur démarche qualité ont mis en place des mini audits croisés qui permettent à des salariés –qui ont été formés à cet effet- d’aller interroger la mise en œuvre de la démarche qualité dans d’autres établissements de leur association. On pourrait même aller plus loin et imaginer ce processus entre les établissements de deux associations différentes, à condition qu’elles partagent le même référentiel.

 

] Mettre en valeur les talents et compétences spécifiques pour cultiver le sentiment d’utilité et de plaisir au travail.

On pourrait solliciter les salariés sur des compétences, des hobbies, pour les valoriser dans le cadre du travail. Par exemple se servir des talents graphiques d’un salarié pour illustrer une affiche. Mais c’est parfois difficile de demander à un salarié d’intervenir en dehors du cadre strict du travail.

 

] Garantir un temps de disponibilité de l’encadrement : rythme de présence organisé.

Par exemple il  est important que le cadre se rende disponible pour son équipe en dehors de ses horaires stricts.  Si le cadre vient voir les salariés au travail sur des temps de travail en soirée, en weekend cela peut être vécu comme un contrôle mais aussi comme une attention à leur travail, à leurs horaires atypiques, aux difficultés rencontrées dans ces moments là. Ne négligeons pas la notion de contrôle, la bientraitance passe aussi par là : observer les salariés au travail, leurs difficultés éventuelles, la collaboration entre les membres de l’équipe…ce sont, parmi bien d’autres des éléments sur lesquels le cadre doit s’appuyer pour accompagner les salariés dans des rapports avec des usagers souvent complexes.

 

 

2  «La bientraitance : définitions et repères pour la mise en œuvre »

3 « Mission du responsable d’établissement et rôle de l’encadrement dans la prévention et le traitement de la maltraitance »

4. L’ensemble de ces remarques me conduit à préférer le concept de bienveillance à celui de bientraitance.

 

Il ne faut pas prendre le terme de bienveillance dans le sens commun qu’on lui prête souvent c'est-à-dire avec des connotations d’amour, d’amitié. En anglais bienveillance est traduit par « benevolence » ou « kindness » mais aussi par « care » qui signifie souci, inquiétude, prendre soin.

Il faut en effet préférer des cadres qui prennent soin de leurs salariés plutôt qu’ils les traitent bien. La bientraitance devrait aller de soi. La bienveillance est le supplément d’empathie, le saut qualitatif qui distingue le cadre technicien du « bon » cadre.

Dans bienveillance, il y a le mot « veiller » ce qui veut dire qu’on n’est pas dans l’empathie béate.

La position éthique nécessitée par cette bienveillance renvoie à un positionnement professionnel

et humain qui dépend autant de la personne du chef de service éducatif que de l’institution qui l’emploie.

Bien sûr ce que l’on dit des cadres intermédiaires doit être extrapolé à tous les échelons de la hiérarchie.

 

5. Mais quid de la question du management et de sa mise en œuvre en lien avec la question de la Bienveillance.

 

Un management sans bienveillance n’est qu’une application stérile de procédures sans intérêt et sans objet. Par contre si la GRH nait d’une politique associative coordonnée, partagée dans sa conception et sa mise en œuvre, fondée sur les valeurs associatives et centrée sur les besoins des usagers et le déroulement optimal des parcours professionnels, les cadres peuvent s’y appuyer pour conduire un management bienveillant. Quelques exemples d’illustration :

 

] La formation continue. Certes elle est pilotée par l’employeur et doit servir à perfectionner  les compétences des salariés au service de l’amélioration des prises en charge des usagers. Mais dans la formation peut aussi vouloir servir, en parallèle ou pas, des projets plus personnels des salariés. Ceci contribue à leur mieux être dans leur parcours professionnel et par ricochet dans l’exercice de leurs missions. Et c’est bien le cadre dit intermédiaire qui est le mieux placé pour faire émerger ce type de besoins.

 

] L’entretien annuel qu’on appelle couramment entretien d’évaluation. Evaluation, mais de quoi : la qualité du travail, l’engagement du salarié, ses compétences ?...

Je préfère parler d’entretien professionnel centré sur le salarié, sa position dans son poste, ses difficultés et comment il envisage de les résoudre.

Clairement c’est un lieu ou la question de la bienveillance est nécessaire. Cet entretien doit permettre un vrai échange entre le salarié et son supérieur hiérarchique, centrée sur ses difficultés mais aussi ses potentiels, ses aspirations, ses projets.

 

] Les sanctions disciplinaires : est-ce que ce sont des outils du management ? Strictement, non, bien sûr. La sanction est là pour pointer un comportement fautif. Mais au-delà de cet aspect ?

Lorsqu’un salarié dysfonctionne, il est nécessaire de reprendre ceci avec lui. Lorsque ce dysfonctionnement devient une faute, il est nécessaire que ceci soit repris sur le plan disciplinaire. D’abord parce que si le comportement perdure, il faudra constituer un dossier conduisant éventuellement à des sanctions plus lourdes.

Mais aussi parce que la sanction doit être pédagogique, signifier de façon formelle le franchissement de la ligne jaune. Ainsi le cadre aura-t-il une veille spécifique sur ce salarié pour faire en sorte que ce comportement ne se répète pas ?

 

6. En dernier point, il ne faut pas minimiser le rôle essentiel de l’institution dans cette question du cadre bientraitant / bienveillant.

 

C’est bien sûr à elle que revient la responsabilité de mettre en place le contexte et les processus institutionnels permettant ça.

Il y a de nombreuses manières d’instaurer ce cadre facilitant:

 

] Dans la construction des procédures GRH

Par exemple les fiches de postes des Chefs de Service Educatifs ne doivent pas oublier cette fonction importante d’accompagnement des salariés dans la prévention de la maltraitance, également le rôle du cadre dans la construction du plan de formation.

 

] Egalement dans la mise en œuvre de la GRH.

Prenons par exemple les entretiens annuels : la crainte des salariés et des syndicats est souvent liée, parfois à juste titre, à l’utilisation « perverse » qui peut être faite de ce temps d’entretien.

On peut par exemple instaurer des garde-fous :

- Former l’ensemble de l’encadrement à cet exercice de manière à ce que tous utilisent la même méthodologie de conduite d’entretien

- Edicter des règles sur l’utilisation possible de cet entretien :

· Engagement de l’employeur à ne pas l’utiliser dans le cadre des procédures disciplinaires

· Destruction des comptes-rendus d’entretien à l’issue de l’année écoulée pour ne pas constituer dans les dossiers des salariés un empilement des entretiens passés.

· L’original du document est conservé par le salarié

 

] Dernier exemple : la formation et notamment la formation qualifiante. On sait que l’absence de formation est un risque de maltraitance. Or c’est dans les endroits les plus à risques que l’on retrouve souvent des personnels non ou moins formés (veille de nuit, structures pour délinquants type CER ou CEF…). La VAE est souvent la seule voie permettant à ces salariés d’accéder à des qualifications. L’association peut former les chefs de service pour l’accompagnement des salariés dans cette démarche.

 

On l’a vu, on ne peut pas rester à la lapalissade qui veut qu’un salarié bientraité par son cadre bientraite les usagers.

Il faut quelques conditions préalables :

- Un cadre institutionnel favorisant,

- Des outils et des modes de management basés sur des valeurs éthiques partagées par l’encadrement,

- Des salariés cadres et non cadres qui exercent pleinement leur responsabilité professionnelle.

 

Pour illustrer nos propos on aurait pu développer bien d’autres aspects qui scandent la vie institutionnelle. Parler du parcours professionnel au sein de l’institution qui doit permettre autant que possible de ne pas laisser le salarié dans une situation de souffrance au travail ; de la nécessité d’avoir des procédures d’embauche rigoureuses, une politique de mobilité efficace, une politique de réduction des risques psycho-sociaux ; des règles de traitement des situations difficiles (agression par les usagers par exemple) ; de l’instauration de lieux de parole pour les salariés (comme par exemple l’analyse de la pratique professionnelle). Tout ces exemples sont autant de lieux que doivent investir les cadres, et parmi eux les chefs de services si on veut qu’ils accompagnent efficacement leurs salariés.

 

Tout ceci est nécessaire mais pas n’est pas une assurance tout risque. Le concept de bienveillance si on le préfère à celui de bientraitance car il rajoute à la palette des qualités professionnelles du chef de service cette notion centrale d’empathie pour ses salariés impose également et au même niveau d’importance que celui-ci ne doive pas se départir de son rôle de « veilleur » sur leur fonctionnement au quotidien auprès des personnes accompagnées.

 

Jean-François MEUNIER -  Juin 2010