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Cette journée nous rassemble sur le thème des répercussions, sur la vie institutionnelle, de « l'application des droits de l'usager et de sa famille » au regard de la position de votre association. Cette formulation n'est pas neutre.
Vous vous proposez d'analyser les conséquences de l'application du droit sur le fonctionnement des institutions, sur la place réciproque des usagers et des professionnels et finalement sur votre travail, sur vos responsabilités, au regard de votre positionnement spécifique.
Une autre formulation était possible : analyser les implications de la mise en ouvre de la loi sur le fonctionnement institutionnel et sur la position de votre association au regard de cette même loi. Une question qui renvoie à la problématique de l'évaluation, donc du référentiel. Je reviendrai ultérieurement sur cette question.
Je vous propose de nous inscrire dans une logique d'acceptation de cette loi, qui
fait partie de notre réalité et que nous avons avoir le devoir d'appliquer et de
faire appliquer dès lors qu'elle a été votée par le parlement, c'est-
Vous notiez, dans le compte-
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il me semble toutefois important de rappeler que cette loi n'apporte rien en matière de droit des usagers. Tous ces droits existaient auparavant, mais ils étaient souvent méconnus et non appliqués. Ceci pose d'ailleurs une question qui interpelle directement la position des cadres des institutions.
Avant de rentrer dans le détail des implications de la loi 2002 sur votre travail, je vous propose de résumer rapidement trois grands axes de cette loi à partir desquels nous pourrons réfléchir ensembles à sa mise en ouvre et aux problèmes qu'elle pose.
Cette loi rappelle les textes fondamentaux qui fondent le droit des usagers. Elle rappelle que la vie des personnes n'appartient qu'à elles mêmes, que la responsabilité individuelle est inaliénable, que la liberté de chacun s'arrête là où commence celle de l'autre et que seule la loi peut apporter une limite aux libertés de chacun.
Elle rappelle également qu'il ne peut exister de relations de pouvoir entre les personnes et que si la compétence des professionnels leur permet d'exercer une autorité légitime, cette autorité n'existe que si elle est reconnue par l'autre et ne saurait être imposée.
En ce sens, en refondant la posture des différents acteurs, cette loi qui peut paraître parfois simpliste dans sa lettre, renvoyer à des rapports simplificateurs voire à des rapports marchands à travers le contrat de séjour et ignorer la complexité qui constitue le travail social, rappelle en fait la nature de la relation d'aide et les fondements de l'éducation : mettre à disposition de la personne des moyens, qu'elle est libre d'accepter ou non, pour lui permettre de mieux gérer sa vie, de poursuivre son itinéraire, avec son histoire propre et sa singularité. De ce fait, elle est également, contrairement à ce qui pourrait apparaître en première lecture, anti normative.
Bien sur, son application pose une série de questions quotidiennes qui ne peuvent
avoir de réponses univoques : quel est mon pouvoir, quelle est la limite entre la
liberté de l'autre et la liberté laissée à son handicap, quelle est la responsabilité
de l'adulte par rapport à l'enfant, quelle position prendre lorsque les modèles culturels
parentaux semblent défavorables à l'enfant, qu'écrire dans un dossier qui sera lu
par l'usager et si des éléments ne peuvent être lus par lui, quelle place à le professionnel
vis-
Autant de questions et bien d'autres encore qui demandent une réflexion de nature éthique.
Il est intéressant de constater que ces questions éthiques surgissent à travers la mise en ouvre du droit, porteur de sens sur la nature des rapports sociaux, donc des rapports humains. Les travailleurs sociaux sont des gens de pouvoir : penser que l'on peut influer sur la vie des autres et en faire son métier peut relever d'une forme « d'arrogance » ou de « toute puissance » que seuls le droit et l'éthique peuvent contrebalancer. Paradoxalement, l'inscription des travailleurs sociaux dans le droit à souvent été défaillante : vécu de limitation de son pouvoir, confusion entre le droit et la réglementation, confusion avec les procédures administratives. ?
En réinscrivant l'action sociale dans le droit, la loi du 2 janvier refonde donc la place du travail social et médicosocial dans son rapport à l'usager : des personnes accompagnant d'autres personnes au nom d'une appartenance à une même communauté et à ses règles, à l'aide d'argent public appartenant à cette même communauté. Cette question de l'inscription - Il y a dans ces questions du grain à moudre pour les chefs de service.
La deuxième dimension essentielle de cette loi est celle de l'évaluation.
Là encore, il y a de nombreux risques d'incompréhension et de résistances.
L'évaluation est souvent vécue comme un contrôle, une perte de temps, une démarche plus administrative qu'une démarche de sens.
L'évaluation, telle qu'elle est conçue dans la loi du 2 janvier 2002, avec la mise en place du Conseil National de l'Evaluation invite les établissements et services à engager une double démarche :
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-
Définir en amont de l'action les principes auxquels elle doit répondre, quitte à
réinterroger ces principes est une obligation méthodologique : disposer d'un point
de repère pour donner sens et valeur aux différentes dimensions de la vie institutionnelle
et aux actes posés vis-
Définir des principes d'action est toujours un exercice difficile car ces principes doivent intégrer non seulement les repères de la loi, mais aussi des options théoriques, éthiques et techniques. Cette exigence renvoie les professionnels à l'obligation de formaliser les bases de leur action, y compris dans sa dimension théorique (conception des modèles éducatifs, définition de la relation d'aide, etc.), ce qui est déjà parfois difficile car cela renvoie au savoir, puis à justifier de leur action en regard de ces principes. Par nature, les repères, les principes qui fondent le référentiel doivent être extérieurs au sujet qui évalue son action au risque, si ce n'est le cas, de l'autoréférence.
C'est en ce sens que la formulation de départ qui préside à cette journée : « évaluer les implications de la loi au regard de votre positionnement » me parait contestable au sens ou elle comporte un risque d'autoréférence : il convient d'évaluer les implications de la loi et la position des chefs de service en regard d'une extériorité dont cette même loi fait partie.
Enfin, le dernier élément qu'il me semble important de mettre en valeur est celui des outils, procédures et protocoles.
Comment un établissement ou un service peut-
Cette question est également centrale dans la mesure ou elle se heurte souvent à la représentation de la « liberté de penser » des équipes et à la confusion fréquente entre le spontanéisme et la créativité. Inscrire les équipes dans une contrainte de questionnement est un travail directement lié à la problématique de l'évaluation. La compréhension du sens de la contrainte est ici l'élément problématique : comment
faire comprendre que toute créativité passe d'abord par une exigence formelle, une
qualité de questionnement qui peut seule garantir l'accès au questionnement lui-
Là encore, du travail pour les chefs de service.
L'année dernière, avec Joël CADIERE, vous avez défini les grands axes des missions qui sont les vôtres. Je vous propose de partir de ce cadre de missions pour voir en quoi il peut être affecté par la loi du 2 janvier 2002. Vous avez d'abord défini votre défini la position des chefs de service : « Position intermédiaire, déchirée, en tension entre deux pôles ». Formulée ainsi, cette posture doit être pour le moins inconfortable. Quels sont ces deux pôles ? Et si il y a deux pôles, sont-
N'y a-
Au-
Plutôt que cette représentation de tension, qui présuppose un antagonisme que je trouve personnellement douteux tant au plan de la réalité que de l'éthique, je vous propose plutôt de vous inscrire dans une représentation du lien entre plusieurs niveaux d'une même réalité, mais niveaux solidaires : les dirigeants de vos établissements et services ont à priori les mêmes objectifs et défendent les mêmes causes que les personnels qui y oeuvrent et les chefs de service ont cette position stratégique qui consiste à faire en sorte que les dirigeants soient « alimentés » du réel et du quotidien du terrain et que le terrain soit inscrit dans les réalités sociales, les contraintes et le sens porté par les dirigeants qui n'en sont ni les créateurs ni les propriétaires.
Etre soi-
Les six champs d'activité :
Le pilotage de l'action.
Garant de la cohérence de l'unité fonctionnelle, de son projet et des projets personnalisés, le chef de service est de fait le garant de : -
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L'encadrement des équipes éducatives.
Ce champ d'activité, qui rejoint le premier est sans doute le plus complexe à mettre en ouvre. Fédérer les compétences d'une équipe pluridisciplinaire autour du projet d'une personne suppose la capacité de permettre le dépassement des clivages et le souci de replacer en permanence l'usager au centre des préoccupations de chacun. Si la loi du 2 janvier n'affecte pas la nature de cette fonction, elle lui donne un contenu nouveau du fait du rappel au formalisme : le chef de service est garant du respect du référentiel dans lequel chacun est inscrit. Il doit donc le maîtriser et surtout être capable de prendre les décisions et de les suivre, condition de l'évaluation qui rejoint ici la démarche qualité. Permettre aux équipes de s'inscrire dans une décision institutionnelle dont le chef de service est garant assure à l'usager qu'il ne sera pas l'objet de la représentation et du pouvoir d'une seule personne.
En ce sens, le chef de service est aussi garant de l'inscription de chacun dans le projet commun, donc dans le lien et la cohérence qui font la contenance de l'environnement proposé aux personnes accompagnées.
Dans la même logique, vous notez que le chef de service est aussi garant de l'adaptation permanent des réponses aux besoins constatés. L'évaluation quinquennale prévue dans la loi (chaque institution doit procéder à une évaluation de l'adéquation réponses / besoins) renforce cette dimension.
Nous sommes ici dans la problématique du projet d'établissement. Faire pénétrer dans l'institution de nouvelles compétences, de nouveaux savoirs suppose une capacité de projection, d'anticipation, mais aussi la capacité à « passer commande » aux équipes en matière de formation de nouveaux savoirs.
Un rapport à la connaissance qui implique une valorisation du savoir comme un élément constitutif du projet.
La gestion administrative et budgétaire.
La gestion, notamment des plannings occupe une place importante dans la vie des chefs de service. Ce « pensum » qui revient régulièrement est au cour de l'organisation de l'institution.
L'organisation est elle pensée en fonction du besoin des personnes, de la cohérence du suivi et de la prise en charge ou correspond elle à des contraintes d'amplitude, voire essentiellement au « confort » des équipes de travail.
Dans cette opposition possible d'intérêt, le chef de service doit pouvoir être garant du respect du sens de l'action en analysant avec l'équipe les conséquences de l'organisation sur la vie des personnes. Un travail de cadre partagé avec la direction.
L'information et la communication.
Faire passer les informations vers le haut pour permettre aux dirigeants de se positionner et vers le bas pour permettre aux équipes de s'inscrire dans un projet collectif, le rôle stratégique des chefs de service est ici central. Ils sont les seuls à disposer d'une information : la réalité de la prise en charge et de l'accompagnement des personnes, car ils sont sur le lieu même de la réalisation de l'acte professionnel qui peut seul justifier l'ensemble de l'organisation et la présence de chacun, des équipes aux dirigeants.
Là encore, la loi du 2 janvier n'amène rien de nouveau mais renforce cette fonction essentielle de lien.
Le projet d'établissement.
Vous notiez très justement dans le compte rendu de votre dernière Assemblée Générale le lien existant entre l'acte éducatif, le projet d'établissement et la « raison d'Etat », et la nécessité de savoir inscrire son action dans le contexte politique du moment. Les professionnels de terrain n'ont souvent pas le recul nécessaire pour inscrire leur action quotidienne dans ce contexte, et ce n'est d'ailleurs pas ce qu'on leur demande lorsqu'ils se confrontent aux difficultés des personnes accompagnées. Par contre, pouvoir, lors des réunions rappeler que l'équipe est engagée dans des actions décidées « par la cité » permet de recréer un lien de sens entre son acte et les options politiques du moment, ce qui permet également de rappeler aux équipes que si elles peuvent subir parfois les conséquences d'un manque de moyens, elles n'ont pas à en supporter la culpabilité.
Le partenariat et le travail en réseau. Il est inscrit comme une obligation dans la loi du 2 janvier. Développer des prises en charge coordonnées sur un territoire permet de mieux valoriser les ressources.
Mais au delà de cette seule logique d'optimisation des ressources locales, cette orientation correspond à un courrant beaucoup plus profond.
Les usagers « n'appartiennent » plus à une structure mais peuvent utiliser l'ensemble des ressources disponibles.
La réforme future de la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées va dans ce sens : les projets personnalisés seront faits à l'extérieur des structures et les établissements et services seront des éléments de réponse aux besoins de la personne à un moment de sa vie.
Encore un apprentissage de la dépossession.mais les professionnels travaillant auprès de personnes en grandes difficultés savent bien que les prises en charge partagées constituent des réponses contenantes et structurantes par le lien qu'elle génèrent et les « ailleurs » qu'elles organisent.
Penser avec les ressources de l'environnement et pas seulement avec ses ressources internes implique la non appropriation de l'usager, mais également une réelle solidarité entre les ressources et bien sur entre les hommes et les femmes qui les constituent. Dans ce travail de tissage de solidarité, les chefs de service ont une place déterminante. Au delà des accords formels qui peuvent être passés d'institution à institution, le fait de faire vivre ces liens suppose des rencontres, une connaissance et un partage autour des situations concrètes et les chefs de service sont sans doute les mieux placés pour cela.
Pour conclure, La loi du 2 janvier fait évoluer nos institutions vers une meilleure prise en compte de la demande des usagers, vers un meilleur contrôle de l'action, mais aussi vers un rapport nouveau entre professionnels et usagers dans lequel la dimension du pouvoir serait moins prégnante, les rapports d'égalité humaine plus présents et dans laquelle la question du lien est centrale : - - -
Cette évolution ne va pas se faire spontanément. Au delà des discours elle engage d'abord des actes, une forme sans laquelle elle ne pourra se développer, d'autant qu'elle peut entraîner des résistances. Cette forme passe par des procédures, des protocoles, des questionnements, de nouvelles habitudes de travail qui doivent être portés. Dans la configuration des équipes de travail, les chefs de services apparaissent les seuls à pouvoir assumer cette fonction, mais sous certaines conditions : - - - - Mais la fonction de chef de service ne se réduit pas à une série de missions et d'activités. Ses contours sont parfois un peu flous et si la position peut être inconfortable,
elle n'en est pas moins indispensable. Une institution n'est heureusement pas une
machine outil programmable. Elle est faite de paradoxes, de désordres et d'interstices.
Le rôle du chef de service n'est pas de supprimer ces paradoxes, ce désordre et de
combler les espaces interstitiels par un « mortier » de significations. Elle est
au contraire d'interroger ces paradoxes sans vouloir les réduire, de remettre sans
cesse en ordre le désordre sans vouloir le supprimer, de veiller au lien, c'est- Cette dimension fonctionnelle essentielle à tout processus de vie est sans doute la partie la plus difficile de votre travail car elle fait appel à des aptitudes qui peuvent paraître contradictoires : - - - - -
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