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Les Travaux

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AVERTISSEMENT


Certains concepts tels « pouvoir pour et pouvoir sur », « contenu, processus et sens ; spécialiste, hiérarque et leader » sont inspirés des théories de l’Analyse Transactionnelle.

D’autres concepts tel « le changement de type 1 et 2 » sont inspirés de la théorie systémique.

Bibliographie

CROZIER Michel, l’acteur et le système, InterEditions.

                            L’entreprise à l’écoute, Inter Editions, 1994

DELIVRE François, le métier de coach, éditions d’Organisation, 2002

LEHNARDT Vincent, Les responsables porteurs de sens, INSEP CONSULTING Editions

MACHIAVEL, Le Prince


LE CHANGEMENT

CHANGEMENTS DE TYPE 1 ET TYPE 2

Dans la vie de tous les jours, nous procédons à des changements plus que nous le pensons :  changement de pneumatiques / changement de voiture, changement des papiers peints / changement de domicile, changement de collègue / changement de travail.
A l’énoncé de ces quelques exemples banals on s’aperçoit que certains changements sont plus lourds de conséquences que d’autres.

Selon une approche systémique, on classe les changements en 2 types : l’un qui n’affecte pas le système dans lequel nous sommes installés, mais joue sur un des éléments du système, c’est le changement de type 1.
L’autre qui va affecter le système lui-même, c’est le changement de type 2.

Le changement de type 1

Le changement de type 1 n’affecte pas le système global dans lequel nous sommes installés, il essaie de le rendre plus opératoire. Par exemple, que les gens soient à l’heure en réunion, que l’on respecte les ordres du jour, que l’on fasse les écrits professionnels dans les temps impartis.

Le changement 1 s’inscrit dans la continuité et assure la permanence de l’ensemble. On fait « plus ou mieux de la même chose ».

Au niveau personnel, intrapsychique, l’individu reste dans le même cadre de référence, il ne remet pas en cause sa manière de penser et de faire mais il va forcer celle-ci pour un meilleur résultat.
Exemple : un éducateur pense que la sanction est le premier outil de recadrage d’un jeune. La réalité va lui montrer que ce n’est pas vrai à chaque fois. S’il est dans un changement de niveau 1, il va renforcer encore les occasions de sanctionner pensant arriver à un meilleur résultat.

Au niveau relationnel, le changement 1 consiste pour deux individus à adopter l’un vis-à-vis de l’autre un processus répétitif, même si celui-ci n’en satisfait aucun.
Exemple : la scène de ménage.

Au niveau du groupe, les membres effectuent un changement 1 lorsqu’ils tentent une solution sans changer les règles qui gouvernent le groupe dans sa totalité.
Exemple : une équipe se plaint du manque d’assiduité en réunion ou du dépassement des horaires. Le changement 1 consiste à rappeler régulièrement que « nous devons nous efforcer de finir à l’heure » ou rappeler qu « il faut prévenir en cas d’absence ».

Au niveau de la structure, le changement 1 consiste à adopter vis-à-vis de l’environnement une attitude routinière qui ne tient pas compte de l’évolution de celui-ci.
Exemple : le travail avec les familles à partir des institutions.

Le changement de type 2

Le changement de type 2 affecte le système lui même. Il consiste en une modification de la façon dont fonctionne tout le système. Il modifie le sens et le rapport des éléments les uns aux autres.

Sur le plan intrapsychique, le changement 2 consiste pour la personne à changer de cadre de référence, de croyance.
Dans l’exemple précédent cela consiste en ce que l’éducateur considère que la sanction n’est pas la seule réaction possible à un dérapage, qu’un échange favorisant une prise de conscience est aussi opportun, une position claire et argumentée de l’éducateur porte autant de fruits.

Au niveau relationnel, le changement 2 consiste parfois à adopter une règle du jeu explicite, n’importe laquelle. Dans l’exemple de la scène de ménage, cela peut être, dès que le ton monte, à convenir d’un geste rituel, d’un échappatoire qui va permettre de reprendre les difficultés autrement.

Un groupe est dans le changement 2 lorsqu’il adopte un autre mode de fonctionnement qui ne s’inscrit pas dans le cadre des vieilles règles. Pour ce qui concerne l’assiduité en réunion dire ce qui se passera lorsqu’il n’y aura pas présence en réunion.

Au niveau des structures, le changement 2 est d’ordre culturel et il est plus long, plus difficile à opérer. Pour ce qui concerne le travail avec les familles, sommes-nous véritablement sortis de la « bonne institution et la mauvaise famille ». Parfois j’en doute. C’est en 1981, qu’est sorti un décret faisant l’apologie du milieu naturel, de considérer le placement comme un mal nécessaire. 25 ans après on repose encore la question du travail avec les familles.

Le travail en réseau est un bon exemple d’une évolution que l’on a tendance à traiter en type 1 sans rien changer de nos modes d’action alors que c’est un changement de type 2 qu’il faudrait opérer.

On juxtapose les interventions complémentaires à celles existantes au lieu de les intégrer au détriment de certaines prérogatives du système existant. Comment et quoi déléguer à une structure qui va prendre en charge un jeune en même temps que nous.

Pourquoi est ce si compliqué de travailler en même temps avec le secteur E.N. et le secteur psychiatrique ? parce que nous avons chacun une représentation différente de la problématique du jeune et des moyens de la traiter. Chacun défend son pré carré et on arrive difficilement à établir un projet global inter institutions pour le jeune.

Les séjours de rupture présentent aussi cet écueil : c’est bien souvent une parenthèse qui va faire souffler les équipes sans lien véritable entre les deux institutions.

Contrairement au type 1, le changement de type 2 affecte nos valeurs, nos croyances, nos mentalités, il est toujours plus difficile à accompagner mais souvent plus efficace.

LE CHANGEMENT N’EST PAS UN ETAT MAIS UN MOUVEMENT

Le concept de changement est un concept flou. Il se fonde sur l’idée qu’il existerait un état idéal, meilleur que celui dans lequel on se trouve actuellement, qu’il faut s’efforcer d’atteindre par les modifications importantes de structures et de comportements. Une fois ce pallier idéal atteint, on pourra enfin souffler et savourer le fruit des certitudes organisationnelles…

En réalité, si l’on observe notre environnement, on s’aperçoit que tout est changement en permanence : la nature, les objets, l’organisation sociale et politique, les représentations mentales, les cultures…
La conquête que nous avons à faire est une conquête mentale : passer du concept de « changement » à celui d’« évolution permanente », passer de la vaine et fébrile recherche d’un modèle idéal à la patiente construction d’un devenir réalisé. (GENELOT Manager dans la complexité )

Au CEPAJ, il ne se passe pas une année sans que nous modifions une organisation, un outil de travail. Ce sont en général des petits changements périphériques qui concernent le personnel à différents degrés.

Il s ‘agit d’un constant bricolage obéissant à une succession d’essais et d’erreurs
Exemple : l’atelier M.B.C.Accueil .

Il faut faire en sorte que le personnel prenne l’habitude du changement. Il n’y a pas d’un côté la réalité, plus ou moins immanente et de l’autre côté, le changement plus ou moins menaçant.

Le changement provient de la marge

Un changement qui semble ne concerner qu’une frange périphérique de l’établissement suscitera peu de résistance car il ne sera pas vécu comme intrusif et potentiellement menaçant. Ce petit changement introduira pourtant le besoin, l’envie, voire la nécessité d’autres changements plus importants.

Changement et évaluation

La ré écriture du PROJET d’ETABLISSEMENT : s’agissait t-il de justifier l’existant ou de se reposer les questions  sur les principes fondateurs de notre fonctionnement ?


Confirmer ou infirmer ce QUI VA DE SOI. S’interroger sur le POURQUOI avant de s’interroger sur le COMMENT.

EXEMPLE : au CEPAJ, quel est le sens aujourd’hui d’accueillir des jeunes en INTERNAT ?

Il favorise la bonne distance, la contenance institutionnelle, la restauration des liens et de l’image, l’intégration dans un groupe social.
( p. 18 et 19 du P.E )

Le tempo du changement

Un des freins au changement vient de ce que fréquemment, le rythme imposé, par nécessité économique ou du fait de l’activisme de la hiérarchie est « découplé » d’un rythme tout simplement humain.

Le manager prend souvent du temps pour envisager une évolution et dès que sa décision est prise, il voudrait comme rattraper ce temps qu’il a pris en imposant une réalisation immédiate à marche forcée.


L’accompagnement des transitions peut se comparer à l’accompagnement des 4 étapes du processus de DEUIL :
1 choc et négation
2 la colère et le marchandage
3 la dépression
4 l’acceptation et la restructuration.


LE PROCESSUS DE DEUIL

Tout changement entraîne irrémédiablement un deuil à faire.

En dehors même des phases de changement, la vie professionnelle est remplie d’occasions de faire des deuils de toutes sortes qui affectent pour un temps un salarié, une équipe voire une institution.

Pour ne citer que quelques exemples : un changement de poste, un changement d’équipe, le remplacement d’un collègue sympathique par un sombre personnage, la perte d’un chef, un projet refusé par la hiérarchie, un espoir de carrière déçu, un changement de bureau, de lieu de travail, une promesse non tenue, un changement d’association, un échec dans la prise en charge d’un jeune, un changement d’organigramme, un acte commis contraire à ses valeurs, un changement d’attributions etc…

Pour accompagner le changement, il faut connaître ce processus de deuil qui permet de comprendre et d’accepter le temps de maturation nécessaire à tout changement quelle que soit la qualité du projet et des hommes qui le conduisent et de ceux qui devront le mettre en oeuvre.

Elisabeth Kübler Ross, psychiatre américaine, a tenté de décomposer les phases de cette « vallée des larmes » qu’est le processus de deuil.

Exemple : Dans le cadre de la mise en place des 35 heures, j’ai changé l’encadrement des repas de midi : ceux-ci étaient historiquement assurés par les éducateurs techniques et non par les éducateurs de groupe comme c’est le cas dans de nombreuses institutions.

La descente

La perte : Les éducateurs techniques : nous n’aurons plus la gratuité des repas. Ce temps de travail va être reporté sur des temps pédagogiques.
Les éducateurs de groupe : on va être obligés de revenir pour le temps de midi.


Le déni : « ce n’est pas possible, pas ça, pas moi, pas lui, pas maintenant ».

Refus de la situation. Il ( le directeur ) est fou, ça a toujours été comme ça, c’est un bouleversement. On pourrait s’en passer.

La colère: « ce n’est pas juste »

Il (le directeur) n’a pas le droit, clause substantielle, mobilisation des représentants du personnel.

La peur : « qu’est ce que je vais devenir, pourrai-je m’en sortir ».

Les éducateurs de groupe : serons-nous capables de gérer ces temps difficiles.

La tristesse : « je ne m’en remettrai jamais, c’est trop dur, à quoi bon ?».

Prise de conscience que c’est incontournable. Ce qui a été dit va être fait. On ne peut pas faire autrement.

La remontée

L’acceptation : « c’est dur mais c’est ainsi et je vais continuer de vivre le mieux possible ».

Les équipes commencent à faire face et interrogent sur le COMMENT.
Educateurs techniques : projection des nouveaux emplois du temps.
Educateurs de groupe : Quels sont les moyens, combien serons nous ? quand mangera-t-on ?

Le pardon : « je renonce à en vouloir à tous ceux que j’ai considéré comme responsables de ma souffrance »

La contestation s’estompe.

Le cadeau caché : « grâce au deuil, j’ai pu… »

Les éducateurs techniques prennent conscience qu’ils auront un vrai temps de repos, de ressourcement pendant le repas où ils seront dégagés de la prise en charge.

Les éducateurs de groupe trouvent intéressant de rencontrer les jeunes à mi-journée et acceptent de considérer que pour ces derniers c’est une vraie coupure avec la formation.
Ils ont la gratuité du repas.

La sérénité « l’accès au nouvel attachement »

Après une phase concrète d’expérimentation, tout rentre dans l’ordre.

Si aujourd’hui, je proposais de revenir à la configuration précédente, nous vivrions les mêmes phases.

Dans tout processus de changement, nous allons obligatoirement rencontrer des obstacles, des résistances, des révoltes, des replis sur soi, des mobilisations. Gardons-nous de penser aussitôt que notre projet n’est pas bon ou qu’il est prématuré mais donnons du temps aux équipes pour intégrer l’évolution ; résistons, expliquons, répétons, convainquons, montrons notre détermination pour aider les personnels à remonter la pente du deuil qu’ils doivent obligatoirement faire.



LA CRISE


Idéogramme chinois : Risque et opportunité

Qu’est-ce qu’une crise ?

Période difficile dans la vie d’une société, situation tendue, de l’issue de laquelle dépend le retour à un état normal. Rupture périodique d’équilibre.

Situations à problèmes qui, en s’amplifiant, sont porteuses de crises déclarées qui ont le potentiel d’affaiblir, en interne, l’efficacité des collaborateurs et d’endommager, en externe, la réputation et la crédibilité de l’entreprise.

Reconnaître et accepter l’existence de situations à risques, même lorsque tout va bien.

Un établissement à caractère social est un établissement qui est toujours dans un équilibre précaire. Notre vecteur de « production » sont des êtres humains qui travaillent avec leurs connaissances mais aussi leur personnalité, leur sensibilité, leurs ressentis, leurs affects. Ils travaillent sur un « produit » qui sont des enfants et adolescents, personnes fragiles en souffrance, en carence et présentant des troubles de la personnalité et de la conduite.

Les sciences humaines ne sont pas des sciences exactes, nos résultats sont aléatoires, semés d’échecs, de frustrations, de maladresses, d’incompréhension, de violence et de peur aussi.

L’imprévu , le « clash » d’un enfant, le dérapage d’un adulte voire d’une équipe ou d’un directeur sont des risques potentiels qui peuvent à tout moment mettre en fragilité et en insécurité le système éducatif dans son ensemble.

Tout cela fait que la vigilance des responsables doit être constante et que l’on doit veiller sur notre établissement comme la ménagère surveille le lait sur le feu : un constant bouillonnement qui ne doit pas déborder.

Nous pouvons mettre des marqueurs dans l’institution qui peuvent nous aider à anticiper une crise et si celle–ci se réalise, à mieux la gérer.


Quand tout semble aller bien est un moment propice pour avoir une vision anticipatrice des risques inhérents à notre mission, à notre organisation, à notre management.

REPERER LES FACTEURS DE RISQUE

Les risques relatifs à notre mission 

La charge mentale 

Elle est reconnue comme maladie professionnelle dans notre secteur. Elle est générée par le côtoiement quotidien d’enfants et d’adolescents qui nous renvoient leur mal être, leur agressivité, leurs comportements hors normes. Elle est exacerbée par le fait que non seulement nous vivons avec ces jeunes, mais nous avons pour eux des objectifs d’éducation, de socialisation, d’apprentissage, ce qui nous met souvent en situation de confrontation, voire de conflit. L’effet groupal de certaines réactions en rajoute encore au stress occasionné.

La violence de la population accueillie

Elle en rajoute à la charge mentale mais mérite une mention particulière car aujourd’hui cette violence prend des aspects soudains et extrêmement agressifs qui peuvent mettre en insécurité l’éducateur le plus chevronné.

l’apprentissage professionnel 

Chaque atelier de formation avec les techniques, les outillages et les machines potentialise un risque quotidien d’accident lorsque ce sont des jeunes instables qui les utilisent.

Les activités extérieures

Si celles-ci sont indispensables pour vérifier le degré de socialisation de nos jeunes et évitent que l’établissement vive en autarcie, elles génèrent des risques spécifiques qui ont la conséquence immédiate, lorsqu’ils se réalisent, d’affecter l’image de l’institution.

La maltraitance

C’est celle d’un jeune comme celle d’un adulte.

Nous pouvons maltraiter un jeune par l’emprise que l’on a sur lui, la façon dont on lui parle ou dont on ne lui parle pas, une sanction humiliante, une contention physique incontrôlée ou injustifiée.

Un adulte même professionnel peut se sentir à la longue maltraité par les jeunes, humilié lui aussi, il peut se sentir en danger et avoir peur, celle-ci étant toujours mauvaise conseillère dans notre métier.

Les risques relatifs à notre organisation

Les éducateurs en particulier, ont des périodes de travail spécifiques, le soir, la nuit, les week-ends. Elles sont reconnues comme sujétions particulières par nos conventions de travail. Même si l’habitude est une seconde nature, elles génèrent un stress spécifique et participent au burn-out de nos équipes.

L’absentéisme et son corollaire le remplacement d’un collègue provoquent une surcharge de travail régulière, inattendue bien souvent, qui peut saturer les intéressés.

Le non respect du droit du travail

Nous vivons tous un encadrement conventionnel des modalités de travail qui n’est pas toujours compatibles avec la continuité de la prise en charge ni même avec les intérêts du salarié (amplitudes horaires, périodes de travail et de repos, temps de veille, astreintes etc.). Nous pouvons être tentés de mettre en œuvre des dérogations sauvages avec l’accord des salariés qui peuvent être contestées par un seul de ces derniers, même si celui-ci avait donné son accord un temps.
Les obligations administratives que nous avons vis-à-vis de nos salariés découlant du contrat de travail sont aussi une base de la confiance qu’ils nous portent (salaires, heures supplémentaires, indemnités de toutes sortes, prise de congés).
C’est un domaine sensible où la réaction du personnel peut être forte et jeter le discrédit sur les responsables de l’institution.

Les risques relatifs au management

Ils se situent dans les extrêmes : un management trop mou, peu exigeant, sans contrôle, va générer à un moment ou à un autre des dérapages vis-à-vis des jeunes, des failles dans le processus de travail, un manque de disponibilité quand l’intérêt personnel et privé prend le pas régulièrement sur l’obligation professionnelle.

A contrario, un management rigide, autoritaire peut décourager les personnels, les infantiliser et freiner la mise en œuvre de leurs compétences.

INSTALLER DES MARQUEURS DU RISQUE

La crise va s’installer plus facilement dans deux types de fonctionnement.

Le premier c’est lorsque le cadre institutionnel n’est pas assez marqué : peu ou pas de procédures de travail, un projet d’établissement qui a été formellement réalisé mais que l’on ne fait pas vivre quotidiennement et qui ne joue pas son rôle de référence et de tiers dans les situations de travail et de prise en charge, l’obligation de moyens et de résultats n’est pas ressentie ni par les cadres ni par les salariés. La noblesse du travail social légitime à elle seule notre action quelle qu’elle soit.

Le second c’est lorsque le cadre institutionnel est fixé une fois pour toute et que toute évolution est impossible. On faisait ainsi hier et même avant hier, pourquoi devrions-changer ?
La société évolue et avec elle les types d’inadaptation qu’elle sécrète. L’institution n’est parfois pas suffisamment préparée à l’évolution régulière de la clientèle qu’elle reçoit. Ce sont des maisons d’enfants qui sont en difficulté lorsque le jeune qu’ils suivent depuis quelques années  devient adolescent avec les symptômes propres à cette période. C’est aussi la violence d’enfants très jeunes que l’on ne connaissait pas auparavant et devant laquelle on est démuni. Des enfants que l’on finit par considérer comme malades et relevant d’autres compétences, psychiatriques par exemple.

Nos administrations reprochent aux établissements spécialisés des procédures d’admission qui sont des sélections trop fortes à son gré et qui laissent sur la touche des jeunes que nous devrions accueillir. Je suis moi-même un défenseur de la procédure d’admission car un placement se prépare, à charge pour nous de veiller à rester dans notre mission malgré la pression des personnels.

L’embauche : l’ébauche d’un contrat moral et technique

Il y a deux aspects à l’entretien d’embauche : il nous sert à repérer chez le collaborateur son potentiel, ses motivations, ses compétences, son expérience, son engagement personnel et sa capacité à travailler dans un système institutionnel.
Il sert aussi à présenter l’établissement avec ses avantages mais aussi ses difficultés, ses carences et sa nécessaire évolution.
Dès l’embauche, le futur salarié est prévenu des exigences de travail, du respect du Projet d’établissement dont il prend connaissance avant de se décider. Il est prévenu qu’il rencontrera des situations d’agressivité, d’incivilités qui sont des supports de travail auxquels il devra faire face seul et avec l’institution.

En fait, il doit comprendre que sa compétence ne vaut pas en soi mais doit être opérante et s’inscrire pleinement dans des objectifs et des principes de travail spécifiques à l’établissement.

Ainsi nous marquons ensemble les prémices d’une collaboration précise qui dépasse le seul échange d’une compétence « standard » d’éducateur spécialisé contre une rémunération indiquée par la Convention Collective.

Les représentants du personnel

Les délégués du personnel, C.E.et D.S. sont un contre-pouvoir qu’il faut accepter pour en faire un outil de gestion.

Trop de directeurs font leur propre mal en les considérant, parfois avec mépris, comme des « empêcheurs de diriger en rond », des contestataires systématiques.

Par contre, il s’agit de bien poser le cadre d’intervention, bien connaître les attributions de chacun (D.P., C.E., D.S.) et veiller constamment à ce qu’ils y restent, d’être intraitable là dessus.

Il n’y a pas de mauvaise question des D.P. : certaines demandes peuvent être considérées comme abusives, naïves, tendancieuses, irréalistes ; il faut toujours les prendre au sérieux et parfois avec de l’humour. N’oublions pas que les représentants sont des élus, des porte- parole du personnel, qu’ils ne partagent pas toujours les avis qu’ils présentent, qu’ils ne sont pas toujours en capacité ou en volonté de trancher une question dont ils connaissent la réponse, avec les salariés.
Avec ces préalables, les représentants du personnel sont un lien régulier indispensable avec le personnel qui permet au directeur d’expliquer plus à fond certaines décisions. La confrontation est parfois inévitable, la seule règle est qu’elle se fasse toujours dans les respect des personnes. Les D.P. canalisent les interrogations, les frustrations de toute sorte, c’est une soupape de sécurité qui participe d’un bon climat social.
N’oublions pas non plus que c’est une procédure officielle, organisée, connue et reconnue pour traiter une erreur toujours possible, un abus de pouvoir du directeur ou d’un cadre, ce qui n’est jamais sans conséquence.

Le climat de confiance et de respect réciproque qu’un directeur construit avec ses représentants du personnel peut éviter une crise et, si elle advient, faciliter son traitement.

La représentation des jeunes.  

Ce qui est bon pour la gestion du personnel peut l’être aussi pour la gestion des jeunes.
Nous avons des représentants des jeunes élus par leurs pairs qui sont rencontrés régulièrement, dans le cadre du C.V.S. par exemple. L’idée est que le droit d’expression des jeunes ne peut pas être qu’une bonne intention mais doit être organisé, relayé pour que ceux-ci l’utilisent vraiment.

C’est un outil efficace de prévention de la maltraitance.

Ce faisant, il ne s’agit pas de donner la parole aux jeunes et que celle-ci agisse sur nous en toute puissance. Il s’agit qu’ils comprennent et qu’ils acceptent qu’il y a des choses négociables mais que d’autres ne le sont pas et ne le seront pas, quels que soient leurs arguments et leur insistance.
L’exercice de la parole a pour but qu’ils intègrent mieux le cadre institutionnel et non qu’ils s’en échappent.

La communication interne 

La communication dans un établissement est pour moi une huile qui traverse à différents endroits le moteur qu’est l’entreprise et qui fait que cela tourne mieux. Elle est autre chose que l’information car elle met en échange les personnes et génère de la transversalité horizontale et verticale.

Les commissions : elles sont composées pour l’élaboration d’un projet (quartiers d’été) ou pour le suivi d’une action (cafétéria). Des membres des différents services y participent et un cadre de l’institution les animent.

L’Observatoire : nous sommes ici non plus dans la gestion de l’existant mais dans la mise en perspective et en prospective du système. C’est une instance de veille éducative (voir note d’information).

L’équipe de direction :

Elle est une équipe et non une succession de cadres cloisonnés dans leurs différents territoires d’intervention. Chacun rend compte à l’équipe, elle réfléchit, élabore ensemble et participe à la prise de décision du directeur.

Si chacun a son domaine d’intervention, la transversalité reste un principe de travail qui garantit la vision globale de la prise en charge des jeunes et de son corollaire, l’organisation générale de l’établissement.

Tout projet, à commencer par le Projet d’établissement, toute décision, engagent l’ensemble de l’équipe et pas seulement les membres convaincus.

Elle est à la fois une force de proposition, une impulsion, un relais bilatéral, un contrôle du respect du cadre institutionnel.

L’équipe de direction est déterminante dans la bonne marche générale de l’institution. Lorsque celle-ci  est assurée, c’est grâce à sa cohérence, son dynamisme, sa solidarité. A contrario, elle est directement concernée par l’émergence de disfonctionnements ou d’une crise.

Elle se réunit une fois par semaine sur un ordre du jour établi par le directeur et qui intègre les demandes des cadres.

Tous les cadres hiérarchiques peuvent rencontrer le directeur sans préalable et réciproquement : a l’instar des salariés, les procédures respectent les délégations mises en place mais une procédure d’exception est instituée pour faire sauter les verrous si nécessaire.

La communication externe 

Notre mission porte à la discrétion et à l’humilité au point que les élus, les financeurs, les citoyens sont souvent dans une totale ignorance de notre métier, ne voient que les désagréments occasionnés par nos jeunes sans considérer les souffrances et les carences sous jacentes. La discrimination, l’intolérance et in fine l’exclusion font leur lit de cette ignorance.

Pour le CEPAJ, la moindre exaction perpétrée par un seul jeune sur le voisinage peut faire l’objet d’un article de presse et c’est l’image de l’institution qui en pâtit et avec elle, tous les autres jeunes placés. Cette généralisation touche aussi nombre de professionnels.

Nous n’hésitons pas à faire la publicité des actions positives faites par nos jeunes pour contrebalancer ces perceptions. Nous organisons des journées Portes Ouvertes qui sont un moment très fort pour l’institution tant pour les personnels que pour les jeunes.

Les préjugés et les fantasmes ne tombent pas par les seuls discours, il faut un contact personnel, physique et libre avec l’institution pour contrecarrer les représentations.

Sur un plan plus technique, le directeur et les cadres participent à des commissions au plan départemental.

Cette communication permet d’atténuer les conséquences sur l’environnement d’une crise interne ou externalisée.

L’analyse de situation critique

Une situation classique de début de crise dans une institution est quand un jeune pousse à bout une équipe au point qu’on le considère comme dangereux pour les adultes et les jeunes qui l’entourent. Cela s’avère parfois objectivement vrai mais cela peut être aussi un effet de « ras le bol », d’impuissance, un effet aussi de « bouc émissaire » qui vient déranger plus qu’on ne le voudrait la bonne harmonie du groupe et le confort de l’éducateur.

En tout cas, cela mérite réflexion et élaboration sans impulsivité. Il s’agit que l’institution réponde à ces situations toujours d’urgence sans pour autant succomber à celle-ci.

Nous avons installé, le vendredi matin, une plage dont on se saisit ou pas suivant les besoins qui s’appelle « analyse de situation critique » qui consiste à reprendre la situation avec toute l’équipe, les cadres de direction et tous les psychologues. Nous mettons à plat l’historique de la prise en charge, les difficultés, les situations problème et nous tentons d’imaginer d’autres modes d’action. Elle permet aussi d’évaluer la tolérance de l’équipe et le soutien éventuel qu’il faut lui apporter.

Outre son caractère technique, cette réunion symbolise le fait que la crise générée par un adolescent fait partie intégrante du contexte de travail, que le fait qu’il y ait une crise ne doit pas faire crise en soit et en rajouter à la situation qui fait problème.

Le plan de formation

Il est un outil de prévention des risques dans le sens où il est axé principalement sur les actions d’adaptation au poste de travail : des thèmes récurrents tels la gestion de la violence, les figures de l’autorité, le normal et le pathologique chez l’adolescent sont proposés chaque année.

Il met au travail ce qui est le cœur de notre métier et que l’on aurait tendance à mettre à la périphérie tant c’est parfois difficile à vivre.

Les entretiens annuels

Jusqu’alors c’était un moment privilégié entre le directeur et le salarié ou le cadre pour évaluer et discuter des écarts entre les attendus de l’un et de l’autre des protagonistes. Il n’est pas un outil de sanction ni de promotion.

Cette action doit être déléguée aux directeurs adjoints et aux chefs de service.

Le C.H.S-C.T.

C’est une instance de représentation du personnel qui a trait spécifiquement à la sécurité et aux conditions de travail. Elle est responsable de faire remonter à la direction les situations à risque à charge pour celle-ci de les apprécier et de décider des actions à entreprendre.


Ces instances et ces modes de travail participent à une veille du risque. Ils génèrent de la communication, de l’information montante, descendante et transverse, le principe même du risque avenu est intégré.

Malgré toutes ces précautions, la crise peut subvenir car elle fait partie quasi intégrante de la vie de tout corps qu’il soit physique, psychique ou institutionnel.

Que pouvons-nous faire alors ?

GERER LA CRISE

Reconnaître et accepter une situation de crise déclarée.

Avoir une attitude de prévention de la crise ne doit pas nous laisser dans l’illusion qu’elle n’adviendra pas, ce qui nous mettrait dans une situation de sidération ou de refus de la réalité.

Si elle est souvent le symptôme d’un disfonctionnement, elle ne doit pas nous culpabiliser outre mesure, elle est, pour les responsables, une situation de management parmi d’autres ayant pour objectif de minimiser le potentiel de destruction de l’événement déclencheur sur l’établissement.

Appréhender la crise en terme de processus

Il faut différencier l’événement déclencheur de la crise qu’il génère, élargir notre champ d’investigation pour comprendre la véritable cause de la crise.

Exemple : un lundi de mai 2002, un éducateur est agressé par un jeune à la première remarque qu’il lui adresse. Nous avons utilisé la méthode de l’arbre des causes que l’on utilise en accident du travail et avons remonté le temps de ce jeune avant l’agression. Renseignements pris, il était arrivé en retard de son retour de week-end, avait erré tout l’après midi et tenté de rencontrer un éducateur puis un chef de service pour parler de son malaise. Personne ne l’avait pris en compte en prenant le temps de l’écouter mais l’avait renvoyé dans un autre lieu ou à une autre personne. L’adolescent avait rebondi de mur en mur tout l’après midi et le premier qui lui adresse la parole lui reproche son retard au lieu de lui demander pourquoi il était en retard.

Reprendre la main

Le directeur a une responsabilité particulière dans la gestion de la crise. Il ne doit pas déléguer celle-ci et s’engager personnellement dans sa gestion, s’exposer.

Exemple : en septembre 2005, 3 agressions en une semaine sont perpétrées par des jeunes. Des types d’agression gratuite, d’une violence avérée pour certaines (jet de boulon dans l’œil d’un éducateur technique et à la tête du gardien). Les victimes n’étaient pas habituelles. L’une d’elle était réputée pour bien tenir son groupe, reconnue par ses collègues et en même temps représentant au C.E. Aucune attitude de ces victimes ne pouvait avoir induit le comportement de ces jeunes. J’ai senti que même les cadres étaient un peu désarçonnés par ces incidents. Le personnel s’est ému et se demandait s’il devait supporter cela. La question est venue en D.P.

J’ai fait l’hypothèse que l’ensemble du personnel attendait un signe fort de ma part quel qu’il soit. Où était l’autorité ? celle-ci était-elle encore opérante pour juguler ces comportements ? J’ai réuni tout le personnel et tous les élèves avant la réunion de D.P. et j’ai eu un discours très cadrant vis-à-vis des adolescents sans autoriser ceux-ci à contester quoi que ce soit. Pour résumer, c’était moi le chef et j’entendais le rester et tout devait immédiatement rentrer dans l’ordre. Aucun des 115 jeunes n’a bronché. C’était gagné.
Lors de la réunion qui s’est tenue ensuite, les D.P. m’ont dit que mon intervention avait bien rassuré le personnel et tout est effectivement rentré dans l’ordre.

Le signe que nous sommes dans un début de crise est que le directeur est interpellé directement, les délégations ne jouent plus pour un temps, il est en prise directe avec l’événement et ne doit pas le refuser.

Garder son sang froid.

Quoi qu’on dise, le directeur et son équipe ont une fonction de ré-assurance importante vis-à-vis des personnels et ils doivent se garder de participer au processus de dramatisation qui ne manquera pas de se produire voire d’être provoqué et amplifié par certaines salariés, « je vous l’avais bien dit... ».

Objectiver l’événement 

en tentant de repérer ce qui relève d’un risque ou d’un danger réel et ce qui relève du fantasme généré par la peur. Au CEPAJ, malgré une équipe globalement très expérimentée et les procédures mises en place, ces fantasmes générés par la peur et l’insécurité sont fréquents. La direction ne travaille que sur des rapports d’incidents écrits et non sur des paroles. Cela oblige les personnels à objectiver eux aussi les situations qui les perturbent.

Etre déterminé dans la résolution de la crise :

une attitude volontariste des responsables pour sortir de la crise  doit être ressentie par les salariés. Les prises de décision réfléchies et  argumentées sont portées à la connaissance de tous. Cela demande parfois une radicalisation des mesures à prendre :  sauver le bateau peut se faire au détriment de certains de ses passagers, jeunes comme adultes.

Par contre, fermer une structure pour se reprendre hypothèque l’avenir, cela s’inscrit dans l’histoire de l’institution et le risque de répétition est grand.

Compter sur tout le monde 

: si l’engagement des responsables est déterminant dans la résolution de la crise, elle concerne aussi les salariés et il faut pondérer au maximum l’instinct collectif qui va tenter de renvoyer le problème à la seule direction.

Sortir de la crise :

Comme on doit parfois donner un signe fort comme quoi nous sommes concernés par la gestion de la crise, nous devons aussi donner un signe à l’ensemble du personnel et pas seulement aux seuls acteurs de la crise, que celle –ci est résolue, que nous avons réussi, que nous en sortons renforcés.

Exemple : un droit de retrait au C.E.R.



LE LEADER

Pouvoir « sur » et pouvoir « pour »(

« Les hommes sont par nature ennemis les uns des autres, non parce qu’ils sont méchants, mais parce qu’ils sont rivaux dans la simple effectuation de leur désir » (SPINOZA).

Le mot pouvoir est presque toujours connoté négativement car il est associé aux notions de domination ou de soumission.

Le pouvoir se manifeste seulement dans le cadre d’une relation : on a du pouvoir que si l’on a du pouvoir sur les autres (M. CROZIER ).

Dans le pouvoir « sur » nous utilisons nos capacités pour exiger des autres qu’ils satisfassent nos propres besoins. Le besoin de l’autre est ignoré ou combattu. Le pouvoir devient alors l’expression d’un rapport de force.

Le « pouvoir sur » qui n’est pas étayé par une compétence ou par d’autres objectifs que le seul besoin de dominer une personne ou un groupe peut vite être un abus de pouvoir car c’est seulement la situation instituée qui va légitimer cette domination, la forme et non le fonds : « il a raison parce que c’est le chef ».

Le harcèlement moral est une attitude aboutie du pouvoir « sur ».

L’exercice du « pouvoir sur » peut renvoyer à notre propre difficulté à installer notre leadership. L’autoritarisme en est le symptôme le plus courant. Par la crainte de ne pas convaincre, nous imposons notre point de vue. Certains cadres sont trop affectés par le fait que l’on puisse seulement critiquer leur avis.

Ne tombons pas dans l’angélisme, la manifestation d’un « pouvoir sur » est parfois nécessaire.

Exemple, un éducateur qui joue les francs tireurs dans une institution, qui ne respecte pas ou peu les procédures, qui prend des initiatives sans en référer à l’équipe ou au chef de service, qui ne respecte pas les décisions d’équipe. Cela peut être une difficulté personnelle à assumer les contraintes institutionnelles ou à accepter toute autorité qui peut se traiter par le pouvoir pour dans un premier temps, mais si cela perdure malgré les rappels faits, nous rentrons dans une situation où nous devons marquer une injonction à respecter le cadre institutionnel et les acteurs qui y évoluent. Même si la personne a raison sur le fonds, on devra contester la forme. « vous devez en référer à votre chef », « vous devez respecter cette procédure ». Ce rapport de force amène souvent à une sanction car nous ne sommes plus dans la rationalité mais dans la lutte de pouvoir.


Dans le pouvoir « pour », au contraire, nous utilisons nos capacités pour satisfaire au mieux les besoins d’autrui et ceux liés à notre mission. Nous sommes dans des logiques négociatrices et contractuelles, dans la coopération et la collaboration, le soutien, dans la réalisation d’un projet commun qui dépasse nos personnes.

Dans une situation de résolution de crise sommes-nous dans une relation de pouvoir « sur » ou de pouvoir « pour » ?

Parfois c’est un mélange des deux : dans le cas de l’intervention auprès des jeunes et des adultes, je suis dans un pouvoir « sur » les jeunes et dans un pouvoir « pour » les adultes.

En fait, diriger c’est savoir allier les deux types de pouvoir : prendre une décision c’est trancher au dessus des différents avis des personnes, c’est donc faire valoir son pouvoir institué sur ces personnes mais si la décision prise a bien pour objectif la meilleure réalisation du projet en cours, nous serons en même temps dans un pouvoir exercé pour les personnes.

L’essentiel, lorsque j’agis en tant que responsable, c’est que j’ai bien conscience quand je suis en pouvoir sur – cela peut être nécessaire - ou en pouvoir pour.

Une dominance trop forte de l’un des deux pouvoirs marque certaines personnalités de leader du directif coercitif au délégatif en passant par le persuasif et le participatif.

La maturité d’un groupe de travail peut aussi influencer chaque type de pouvoir selon qu’elle est de type clanique avec la revendication d’un chef fort – la règle c’est le chef ou une équipe avec des règles connues et respectées, des valeurs partagées où le pouvoir est quasiment partagé.

Ce petit développement a pour but de faire remarquer que le pouvoir qui nous est donné par notre fonction peut nous permettre de régler des comptes, d’effacer des erreurs, d’imposer notre fantasme de toute puissance. C’est un délicieux poison dont il convient de contrôler constamment la dose prescrite pour la santé vitale de notre entourage professionnel et la nôtre.

Contenu, processus et sens

Toute entreprise  fonctionne sous trois aspects : le contenu, le processus et le sens.

Le contenu c’est la compétence technique des uns et des autres,
le processus c’est l’articulation entre ces compétences pour arriver au résultat,
le sens c’est l’attendu stratégique pour l’entreprise qui fait que l’on veut arriver à ce résultat.

Dans un établissement à caractère social, le contenu ce sont les compétences pédagogiques, éducatives, psychologiques, logistiques qui sont installées à travers chaque membre du personnel.

Le processus, c’est l’organisation du travail, l’articulation entre les compétences, l’installation de la pluridisciplinarité. Comment nous travaillons ensemble.

Le sens, c’est la mission, l’objectif d’insertion sociale scolaire et professionnelle, le mieux-être de l’enfant ou de l’adolescent.

A chaque fonction correspond un stade de développement du responsable.

Le spécialiste, le hiérarque et le leader

Le spécialiste est quelqu’un qui a développé une compétence dans son métier. Il est chargé du contenu.

Pour nous c’est l’éducateur spécialisé qui a une formation, une expérience et qui sait les rendre opérationnelles dans le cadre d’un projet d’établissement.

Deux voies s’ouvrent à lui :

- Soit il devient la « référence » dans son domaine d’excellence, une autorité, un expert.
- Soit il risque de passer à un autre stade de son identité professionnelle qui est celui du hiérarque ou du manager. C’est qu’il va, en fait, changer de métier en faisant faire aux autres ce que lui même faisait avant.

Dans ce deuxième cas, il devient hiérarque chargé du processus, de la complexité que suppose les problèmes humains et les problèmes de gestion. Dans notre secteur, il s’agit des chefs de service et des directeurs-adjoints.

La troisième étape est celle du leader.
C’est un changement radical en ce sens que le leader en plus de son métier, et de son rôle de responsable hiérarchique, doit intégrer les contraintes et les opportunités de l’environnement interne et externe de l’entreprise.

Il ne doit donc pas se contenter de connaître sa spécialité, ni de faire travailler les gens ensemble, mais aussi assurer la cohérence entre les deux premiers stades et les interfaces internes et externes. Dans notre domaine, c’est le directeur d’établissement

Le fantasme du responsable

Le statut et les attributs du pouvoir que donne l’accès à une fonction de cadre hiérarchique se composent d’une réalité objective et d’une dimension fantasmatique.
La réalité objective correspond au statut de cadre, à une rémunération, aux budgets dont on a la charge, au nombre de personnes que l’on dirige, au bureau, portable, véhicule et autres avantages en nature liés, rappelons le, souvent à des contraintes particulières etc…

La dimension fantasmatique correspond à ce qui se passe dans notre propre imaginaire et dans celui de nos interlocuteurs.
Le nouveau cadre s’autorise-t-il à rester un être humain avec ses limites ou va-t-il être prisonnier de son narcissisme et d’exigences plus ou moins conscientes : « sois parfait ! ».

De même son équipe peut projeter sur lui des attentes irréalistes, des peurs à propos des avantages qu’elle tirait de la situation précédente.
Dans ce registre fantasmatique, lorsque l’on est patron, on est sensé tout savoir et avoir réponse à tous les problèmes. Il faut alors tenter d’assumer ses limites et ses doutes sans pour autant insécuriser son équipe.

Exemple de coaching : un directeur ancien chef de service qui a eu du mal à passer du processus au sens. Le fantasme du «sois parfait».

Leader officiel et leaders cachés

Dans toute équipe, il y a un chef officiel et des chefs clandestins.

Le membre de l’équipe vers lequel elle se tourne volontiers quand il y a un problème technique de travail. Cette personne, leader de contenu, est en général reconnue aussi pour sa compétence par le chef officiel : c’est un élément sérieux, pertinent sur lequel il compte tous les jours. Le chef de service peut s’appuyer sur lui car étant dans le contenu, il n’empiète pas sur ses prérogatives.

Il peut y avoir aussi parmi l’équipe quelqu’un qui est reconnu dans les modes de travail, dans le processus. Par exemple celui qui propose un tour de table quand l’on est dans une impasse et qui est suivi. Le chef de service peut s’appuyer sur lui en validant ses propositions. Nous restons dans le pouvoir « pour » qui peut se partager.

S’il y a une volonté derrière la proposition de prendre le pouvoir, nous allons être dans des relations de pouvoir « sur » qu’il faudra mettre à jour et traiter car, dans ce cas, l’équipe souffre et devient inefficace.

Nous avons souvent dans nos équipes, le troisième type de leader, le leader psychologique auquel l’équipe a recours lorsqu’il y a des problèmes relationnels importants. Si vous avez régulièrement le souci des personnes, il sera plus un appui qu’un rival.

La nature ayant horreur du vide, la faiblesse du leader officiel favorise naturellement l’émergence des leaders clandestins et le pouvoir risque de ne plus être partagé à l’initiative du chef mais réquisitionné par tout ou partie du groupe de travail.

Le cadre de référence

C’est notre perception personnelle de la réalité, nos opinions, nos croyances, nos certitudes en toutes choses. Il se fonde sur notre éducation, la culture à laquelle nous appartenons, notre expérience de la vie, les généralités que l’on en déduit.
Notre cadre de référence est ancré au plus profond de nous-mêmes, il construit notre état physique, psychique et émotionnel.
Dans une fonction de responsable, il peut induire des comportements, des réactions, des avis, des décisions peu ou pas adaptée à la réalité.
Cela nous incline à prendre du recul par rapport à la perception que nous avons de la situation.
Pour interpréter une situation, je dois faire abstraction un temps de mes réflexes personnels de pensée.

Exemples de certitudes éducatives : ce qu’il faut à un jeune avant tout c’est de l’écoute et de la compréhension, la sanction n’est jamais bonne pour un jeune car elle nous met dans des rapports de confrontation au détriment d’aborder le fond du problème. Si je suis aimable, je vais être aimé etc…

Les deuils nécessaires au passage des différents stades

Si l’on ne veut pas être victime du principe de PETER, nous devons faire notre deuil des avantages vécus dans le stade précédent, de ce que l’on pourrait appeler les signes de reconnaissance.

En termes de reconnaissance, le spécialiste est focalisé sur l’excellence de sa technique et plus spécifiquement sur le contenu. Il a tendance à négliger l’interface entre son domaine de prédilection et son environnement.

C’est ce que nous vivons souvent quand tel service et partant, telle compétence, voudrait faire valoir ses prérogatives sur la prise en charge globale de l’usager : pour les éducateurs techniques la formation prime sur le loisir, les problèmes de comportement ne sont pas de leur ressort. A contrario, l’éducateur spécialisé peut considérer que la formation est un cautère sur une jambe de bois si les problèmes familiaux et personnels ne sont pas réduits. Il peut en résulter des hiatus dans l’organisation : un jeune qui a rendez-vous avec la psychologue ou pour son projet personnalisé et qui n’est pas présent parce qu’il est parti en chantier avec son éducateur technique…

Le hiérarque ou le manager focalise davantage sur les relations entre les méthodes, les métiers, les personnes, les interfaces. Sa compétence est mobilisée sur la gestion des processus.

Le signe de reconnaissance se fera sur sa capacité à obtenir des autres des résultats et non pas à faire le travail lui même. Il sera reconnu pour sa capacité à faire faire aux autres et devra faire le deuil de la reconnaissance qu’il avait dans l’exercice de son précédent métier.

Le leader devra pouvoir assumer de prendre des décisions impopulaires, assumer la critique, la distance, l’incompréhension de son entourage, « la solitude du chef ».
En retour, il sera valorisé d’être reconnu comme un recours dans les moments difficiles, la référence qui donne du sens au travail de l’ensemble du personnel et veille à la pérennité et à l’évolution de l’établissement.

La dure ascension de l’éducateur vers un rôle de manager

Il n’est pas rare qu’un éducateur soit proposé à un poste de cadre au regard des qualités que l’on a perçues dans l’exercice de son métier : rigueur, vigilance, travail, réflexion, dynamisme, défense et intégration du cadre institutionnel.

Il est constaté par ailleurs que si nous mettons au minimum 10 à 15 ans pour acquérir une compétence reconnue dans notre métier de base, rien ne nous prépare sinon une formation de quelques jours au métier différent de manager.

Ces deux éléments peuvent nous incliner à rester dans ce que nous savons, dans ce qui a été reconnu en nous, à rester dans le CONTENU de la tache et non dans le PROCESSUS de travail. Nous risquons alors de chercher la reconnaissance, en continuant notre métier de base, en montrant aux éducateurs comment il faut faire, en définitive, en pensant, en faisant à leur place. C’est toute la différence entre l’appellation éducateur chef et chef de service éducatif.

L’accession d’un poste d’éducateur à un poste de cadre est un changement de niveau 2, le plus dur à réaliser.

Les certitudes éducatives que nous avions pour les jeunes qui nous étaient confiés, aussi pertinentes soient elles, ne sont pas transposables au management d’une équipe et l’on devra en faire le deuil.

Nous avons vu aussi que ce que l’on attend de nous est tout à fait différent et que l’on devra être pertinent dans le contrôle des procédures, la qualité de la prise en charge, la remise en cause des adultes diplômés parfois plus expérimentés que nous, la bonne gestion d’une équipe et d’un budget, la participation et l’engagement dans la bonne marche générale de l’établissement.

Dans le cas d’une promotion interne, le rapport professionnel avec les collègues change de nature et chacun doit faire le deuil de la situation précédente.
Le jeune promu va vivre les situations de déni de la part de ses collègues qui vont continuer de le considérer comme avant, des situations de « colère » en le considérant comme un traître qui est « passé de l’autre côté de la barrière », d’injustice en considérant que « tout cela n’est pas très clair », que d’autres auraient pu y prétendre aussi bien que lui etc.

Du côté du nouveau manager, il peut être dans l’illusion au début qu’il va pouvoir s’appuyer sur les bons rapports qu’il avait avec ses camarades, que le fait qu’il ait été un spécialiste reconnu par ses pairs va asseoir sa position de chef  ou bien il va se déculpabiliser en leur faisant comprendre que pour lui « rien n’a changé », qu’ils seront toujours ses copains, qu’il sera toujours le même.

Il va devoir au contraire changer profondément : la maxime « aimer pour être aimé » risque de se déliter à l’avantage de celle de MACHIAVEL «  les hommes éprouvent moins d’hésitation à nuire à quelqu’un qui se fait aimer qu’à quelqu’un qui se fait craindre (sans aller jusqu’à se faire haïr ) ».

Il va devoir prendre une distance avec ses anciens collègues, faire le deuil d’éventuelles amitiés.

Si l’éducateur intervient dans un cadre institutionnel dont il n’est pas responsable, le chef de service doit garantir le respect de ce cadre par son équipe et le leader veiller à ce que ce cadre institutionnel soit pertinent par rapport à la mission de l’établissement.

Cela ne veut pas dire qu’il y ait une étanchéité parfaite dans ces trois aspects surtout lorsque le système doit évoluer. Nous avons vu que c’est alors l’affaire de tous mais toujours dans des registres différents. L’équipe propose, le chef de service accompagne, synthétise ces propositions et le directeur les valide.
Management et accompagnement des
équipes dans le changement
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